Les compétences n’existent pas

COMPÉTENCE.

Tout le monde a le mot à la bouche. La France a désormais une agence, un pan d’investissement et un haut commissaire aux compétence. C’est le concept incontournable quand on parle de travail de l’emploi et de la formation.

Oui mais voilà, quand il s’agit de se risquer à une définition commune, on finit par se demander si les compétences existent vraiment.

Quel lien entre compétence et travail ?

Pour les ressources humaines en entreprise comme pour l’Etat, la gestion et le développement des compétences est une priorité. Malgré de multiples tentatives, personne ne semble pourtant jamais s’accorder sur une définition. Tentons une clarification.

Allons directement à l’essentiel : il y a de la compétence là où le travail est fait et bien fait. Tout simplement !

La compétence est un état de fait. Elle est systématiquement associée à un lieu et surtout à un résultat. On devrait donc toujours se focaliser sur ce qui est réalisé : c’est dans le travail que se trouvent les traces objectives de sa présence.

Alors où est le problème ?

Il se situe dans le passage du singulier – la compétence – au pluriel – les compétences.

Essayons d’être un peu plus précis. La compétence que nous cherchons à définir est une expression devenue familière dans le monde du travail. Dans sa stricte définition, la compétence est une autorité – liée à une expertise – qui confère le droit de rendre un jugement. Pour le monde économique, la compétence c’est le travail réalisé dans les règles de l’art.

Mais lorsque l’on parle des compétences – au pluriel – on glisse du travail vers l’individu, de l’entreprise qui produit à la personne qui fait.

Prenons le cas concret du recrutement. On attend des candidat·e·s qu’ils·elles prouvent leur maîtrise des compétences attendues par l’entreprise. Il y a là de la part des recruteur·euse·s une confusion entre le résultat espéré – une organisation performante – et les personnes qui travaillent pour atteindre ce résultat.  

Cette confusion se répercute assez naturellement sur les critères d’embauche. Deux attitudes sont à ce titre révélatrices:

  1. Le diplôme

On cherche dans la qualification des candidat·e·s la garantie du résultat futur. C’est ainsi que pendant plusieurs décennies, les CV se sont transformés en liste de titres et diplômes. Nombreuses sont les offres d’emploi qui font référence de manière explicite à la formation attendue.

  1. L’expérience (au même poste)

On cherche dans l’expérience passée la preuve d’une maîtrise du métier dès l’embauche. Cela se traduit par une exigence ferme : X années d’expérience dans le même poste ou domaine d’activité.

Pourtant, l’expérience – toujours elle – nous enseigne qu’un pedigree ne peut garantir un succès. Pire, le CV peut être un filtre rédhibitoire pour des candidatures potentiellement prometteuses et de belles histoires de transformation professionnelle.

Pour être clair, on ne pourra être certain de la compétence qu’une fois le travail accompli, jamais avant!

Compétences : mythe et réalité

Derrière la recherche des compétences, il y a pour l’entreprise un besoin de se rassurer. Derrière chaque poste à pourvoir, réside la peur de se tromper, d’échouer. Cette peur traduit l’absence de maîtrise face à la complexité des relations humaines. C’est pourquoi on essaie de sécuriser la démarche avec un cahier des charges imposant. Mais l’alchimie qui fait un collectif de travail reste un art délicat, même à l’heure des solutions numériques qui promettent des organisations harmonieuses. L’expérience enseigne plutôt l’humilité que l’assurance.

Comment lutte-t-on contre ses angoisses ? Par une aptitude typiquement humaine : le récit, la fiction. C’est ainsi que l’on pourrait lire l’histoire récente de la notion de compétence. En effet de quoi parle-t-on lorsque l’on parle des compétences d’un individu ? De sa formation ? De ses habiletés ? De ses connaissances ?

En France, nous avons été bercé·e·s par le triptyque “savoir – savoir-faire – savoir-être”, réflexe éminemment cartésien de ramener la maîtrise à la connaissance. Nous sommes prisonniers d’un schéma erroné qui suppose que l’acquisition de compétence suit la logique : apprentissage théorique puis application pratique. Bien qu’elle en renverse l’ordre, la VAE aussi participe de cette vision. La reconnaissance d’une compétence professionnelle passe encore par la validation d’une maîtrise théorique… Pourtant nombreux sont les exemples où l’érudition ne fait pas le savoir-faire et ceux où le professionnel reconnu ne saurait pas théoriser son geste. Difficile de défendre ce modèle sur le terrain.

Cela ne nous avance donc pas beaucoup pour définir les compétences. 

En réalité, toute tentative pour définir les compétences devrait se conclure par le constat suivant: la notion de compétence est une convention. Elle ne permet pas de définir de manière définitive une réalité. Les compétences n’ont aucune autre matérialité que le résultat qui permet d’apprécier la qualité du travail effectué.

Autrement dit : les compétences n’existent pas !

Pourtant, nombreuses sont les solutions qui s’appuient sur les neurosciences pour valider la performance de leurs modèles. Est-ce donc mensonger ?

Il n’est pas question ici de remettre en cause l’apport de l’observation du cerveau. Cela permet de mieux comprendre les processus cognitifs. Pas les compétences. Il faut plutôt affirmer qu’il n’est pas possible de localiser précisément telle ou telle compétence dans le cerveau. La compétence n’est ni un organe ni une partie du corps. Par contre c’est bien la mobilisation des facultés du corps humain qui permet l’expression de notre ingéniosité. Si nous voulions être polémiques, nous pourrions dire:

Prétendre à la scientificité d’un modèle de compétences, c’est croire que l’on peut démontrer que la terre est plate grâce à la physique.” C’est se tromper de combat.

Faut-il pour autant renoncer à travailler sur des modèles de compétences ? Surtout pas. Il est par contre indispensable de préciser ce dont nous parlons.

Une personne va se révéler compétente lorsqu’il y aura dans le travail une maîtrise simultanée de ses capacités personnelles et une maîtrise de son environnement. Ce dernier est fait de connaissances utiles, de gestes exécutés suivant les règles de l’art, de machines et d’outils, d’autorisations particulières et bien sûr de comportements attendus. La compétence réside dans cette convergence de deux types de maîtrise : capacités et contexte de travail.

Chercher les potentiels

Quelle conséquence sur les métiers qui parlent quotidiennement de compétences ? Une seule. Heureuse et ambitieuse. L’horizon est bien plus ouvert qu’il n’y paraît! 

Il y a une condition à l’optimisme. Il nous faut accepter que la compétence est une réussite collective. Ne demandons pas aux personnes en recherche d’emploi de porter seules les solutions à nos problèmes d’organisations. Elles n’ont pas en elles les compétences que nous devons construire avec elles. Nous n’avons pas besoin de leurs compétences mais de leurs capacités, de leur potentiel, de leur ingéniosité

Une stratégie de développement des compétences pertinente et durable passe par l’humilité. Nous pourrions résumer ainsi la posture de l’entreprise face à l’épineuse question de l’organisation et de la gestion du travail:

  • La définition du travail doit être le fruit de l’analyse de l’expérience de terrain
  • La compétence suppose un investissement réel de l’entreprise
  • La compétence a besoin d’un espace d’expression de l’ingéniosité des personnes
  • Le développement des compétences débute par la reconnaissance des capacités des individus au-delà des métiers qu’ils ont occupés
  • Le recrutement n’est pas la recherche de solutions mais de potentiels
  • L’intégration n’est pas un moment mais une dynamique permanente
  • Le temps et la confiance sont les meilleurs moteurs de la compétence

Ne courons pas après les compétences : construisons-les!

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